Souvent, lorsque l’hiver approche en Charente, une brume aromatique se met à couvrir les fermes isolées, blotties dans de douces collines. Au crépuscule, on peut apercevoir le halo scintillant des distilleries : ici débute la saison du Cognac. Une fenêtre entrouverte laisse se disperser un son étouffé – trop distant pour pouvoir le discerner mais assez sourd pour que chacun puisse y transposer une bande sonore de son choix. Et c’est naturellement, sur une batterie de fûts de chêne qu’ici vient se greffer ce lyrics d’anthologie :
« Give me the Henny, you can give me the CrissyYou can pass me the Remi, but—Pass the Courvoisier »
Évidence, donc, que ce tube de 2001 résonne ici à Cognac, dans les domaines de Hennessey (Henny), Rémy Martin (Remi) et Courvoisier.
Aux Etats-Unis, c’est la scène hip-hop des années 90 qui a donné libre cours à l’expression du brandy français, le comprimant toutefois en une syllabe. Le cognac devient « yak » ou « gnac ». En 1995, l’activité préférée de Coolio c’est de rider avec ses potos en sirotant du ‘gnac toute la nuit. Cinq ans avant, Humpty Dumpty du Digital Underground rappe :
93, l’année de Snoop Dogg, s’avère également être la consécration de l’eau de vie française avec ce fameux bigup« I’ll drink up all the Hennny you got on your shelf, so let me introduce myself ».
« Cognac is the drink that's drank by G's ».
Ces sons, parmi tant d’autres, ont contribué à préserver le patrimoine du Cognac à l’heure où il se fait méchamment snober pour des whiskys (plus dans l’air du temps). Au début du nouveau millénaire, le tube de Busta Rhymes et P. Diddy relance de 30% les ventes du spiritueux Charentais.
Ce lien entre les Noirs Américains et le spiritueux français remonte à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Les vignerons de Charente offraient une bouteille de Cognac à leurs libérateurs américains. Les GIs noirs, souvent considérés comme des soldats de second rang, étaient ravis d’être eux aussi remerciés de la sorte et emportent avec eux la tradition du Cognac. L’après-guerre a certainement renforcé les liens avec la musique noire-américaine avec l’arrivée d’artistes comme Joséphine Baker ou Herbie Hancock, qui crée un groupe de jazz sous le nom de V.S.O.P (Very Superior Old Pale), l’appellation désignant un cognac d’au moins quatre ans d’âge. Outre-Atlantique, les marques de whisky s’appellent Rebell Yell ou Southern Dew et renvoient au nationalisme blanc de la Guerre de Sécession. Pour les Noirs des Etats-Unis, le choix du cognac est un choix politique, celui de consommer l’alcool d’un pays qui célèbre leur culture plutôt que de la marginaliser.
Aujourd’hui encore, la jeunesse noire des Etats-Unis continue de rendre service aux petites régions de France. Young M.A débute son morceau « OOOUUU » par une ode au Henny, Dej Loaf intègre l’alcool français à ses escapades nocturnes dans « Me, You and Hennessy » et l’industrie se porte aux mieux avec 86,5 millions de bouteilles vendues aux Etats-Unis Entre le 1er août 2017 et le 31 juillet 2018.
Morale de l’histoire, offrez une bouteille de cognac à des gens en galère et l’univers vous le rendra.
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